Vso yeshcho Sibir'! (Всё ещё Сибирь!) ou en français « Encore – et toujours – la Sibérie ». Traduction libre*.
©Frédéric Bouchard
Lac typique formé par le dégel du pergélisol en Yakoutie centrale (près de Yakutsk, Sibérie). La région est très froide durant l’hiver (parfois -50°C en janvier), mais plutôt chaude durant l’été (parfois 30°C en juillet), ce qui fait coexister un sol gelé sur des centaines de mètres de profondeur en même temps qu’un couvert forestier. Deux collègues (un français, un russe) participent à l’échantillonnage de l’eau, d’où la panoplie de bouteilles en avant-plan.
« Encore », car une première visite de ces contrées lointaines avait déjà eu lieu l’automne dernier – je l’avais d’ailleurs mentionné dans cette chronique. Il s’agissait d’une première visite sur le terrain afin d’échantillonner pour une première fois l’eau et les gaz à effet de serre (CO2, méthane) dans une quinzaine de lacs. Les analyses de ces précieux échantillons sont d’ailleurs toujours en cours, tant au Québec qu’en France. Dossier à suivre, et qui fera probablement l’objet d’une future chronique…
Encore « et toujours », car l’année 2019 sera certainement une « année sibérienne » pour notre petite équipe scientifique. Nous prévoyons aller sur le terrain non pas une, ni deux, mais bien trois fois. Et ça s’en vient vite, car le premier voyage aura lieu normalement dès le mois prochain (mars). Et on prévoit remettre ça en mai et en août de cette année. Trois fois en six mois.
Pourquoi y retourner si souvent? Bonne question. Et la réponse est dans le comportement saisonnier des lacs, qu’on cherche à mieux comprendre afin d’évaluer le rôle joué par les lacs de Sibérie dans les émissions régionales et planétaires de CO2 et de méthane. Durant l’hiver, avec leur ‘carapace’ de glace de près d’un mètre d’épaisseur, les lacs ont l’air inactifs ou en dormance… du moins en surface. Mais en profondeur, sous la glace, il y a de l’eau et donc, au fond de l’eau, des sédiments non gelés. Et dans ces sédiments, souvent très pauvres en oxygène, des bactéries produisent du méthane. À cause des conditions de températures plutôt stables à ce moment de l’année, cette eau « anoxique » au fond des lacs ne se mélange pas vraiment à l’eau plus près de la surface, mieux oxygénée. Le méthane produit par les bactéries reste donc ‘stocké’ au fond de l’eau.
Quand le printemps arrive, la glace fond, les eaux se réchauffent et surtout : elles se mélangent. Résultat : le méthane remonte vers la surface et entre en contact avec l’oxygène. Une partie est donc transformée en CO2, l’autre partie s’échappe telle quelle vers l’atmosphère. Les lacs peuvent donc produire à la fois du méthane et du CO2. Mais dans quelle proportion? À quelle vitesse? Pendant combien de temps? Il s’agit là de questions importantes, puisque c’est en y répondant qu’on pourra mieux évaluer les émissions provenant de différents sites dans tout l’Arctique, et leurs variations d’une saison à l’autre – qui semblent être très variées, si on se fie aux travaux récents.
D’où la pertinence d’être sur place à différents ‘moments-clés’ durant l’année pour dresser un portrait plus fidèle de la dynamique des émissions de gaz, et non pas seulement un ‘instantané’ pris durant l’été, par exemple. Mars, mai et août 2019 : vso yeshcho Sibir'!
*J’ai débuté des cours de Russe afin de mieux communiquer sur le terrain avec mes collègues et la population locale. Et aussi par intérêt personnel. Niveau débutant, attentes modestes, mais on essaiera de donner des nouvelles sur le progrès accompli dans les prochaines chroniques.